Dans toute l'histoire du Quebec, la question de la langue a ete percue comme etant directement liee a l'identite et a la survie du peuple quebecois, et au centre du debat linguistique, se trouvait toujours la question de la norme. Depuis la promulgation de la Constitution de 1867, qui a donne naissance au Canada federal et a eu pour consequence de sceller definitivement le statut minoritaire du francais et de ses locuteurs au Canada, les Quebecois ont vecu dans une double insecurite linguistique. D'une part, le francais etait declasse par l'anglais, predominant dans le monde du travail et de l'economie, et d'autre part, il etait fortement devalorise par rapport au francais de France, unique modele de reference. Ce sentiment d'insecurite, dont les premieres manifestations sont apparues dans la seconde moitie du XIXe siecle, prend des proportions considerables vers les annees 1940-1950. Il faut attendre les annees 1970 pour emerger et redonner enfin au francais son statut de langue officielle et de langue normale et habituelle dans tous les spheres de la societe quebecoise. Or, a regarder de plus pres, on peut dire que le perpetuel debat linguistique au Quebec et le mouvement recent de revalorisation du francais quebecois convergent vers une question centrale : Quelle doit etre la norme du francais quebecois ? Avant d'examiner une nouvelle tendance qui semble dominer dans le debat actuel au Quebec sur les notions de norme et de francais quebecois standard, nous commencerons par tracer les grandes lignes de l'histoire du debat linguistique et l'evolution suivie dans la perception collective de la notion de norme au Quebec. Le probleme de la norme du francais au Quebec s'est pose des le XIXe siecle, notamment avec l'apparition des premiers manuels et lexiques prescriptifs. C'est alors que les Quebecois ont commence a prendre conscience de l'ecart qui s'etait creuse entre le francais du Quebec et celui de France. Cet ecart s'est cree par suite de l'interruption des liens entre la colonie canadienne et la France, consequence de la cession du Canada aux Anglais (1763), et a ete accentue par la Revolution francaise (1789), qui a provoque des changements linguisiques considerables. Toutefois, nous avons l'impression qu'au XIXe siecle, la prise de conscience de l'ecart par rapport au francais dit standard n'etait pas encore generalisee dans toute la population quebecoise et que le modele linguistique francais demeurait la norme ideale et absolue pour la majorite des lettres quebecois. C'est a partir du debut du XXe siecle que la conscience linguistique s'est generalisee en suscitant surtout des mouvements patriotiques, qui tendent a revaloriser et a legitimer les canadianismes. Mais vers les annees 1950, il semble que le sentiment d'une deterioration de la langue fut a son comble et que s'appuyer sur une norme sure, c'est-a-dire celle qui est decrite par les ouvrages francais apparaissait comme une solution rassurante face a cette situation d'insecurite. C'est ainsi que certains lettres ont rejete tout ce qui s'ecartait de la norme hexagonale. La celebre querelle du joual vers 1960, qui s'est declanchee dans ce contexte d'angoisse aigue, illustre parfaitement le profond malaise qui s'est developpe chez les Quebecois a l'egard de leur langue. Il faut attendre la fin des annees 1970 pour que cette querelle soit resolue en faveur du francais, c'est-a-dire que l'idee d'eriger le joual en langue nationale soit abandonnee. Mais pendant cette meme periode, on assiste a une remontee de l'interet pour les particularites du francais quebecois et a un mouvement actif de revalorisation de celles-ci, notamment avec le projet lexicographique de TLFQ (Tresor de la langue francaise au Quebec), approche normative plus nuancee que l'approche puriste et, surtout, plus attentive au contexte canadien. Neanmoins, a regarder son evolution sur une longue periode, on constate que le francais quebecois s'est rapproche du francais international dans les dernieres decennies du XXe siecle. Depuis l'edification de la francophonie, la grande variation linguistique a l'echelle francophone est apparue comme une nouvelle realite linguistique. La conception variationniste, decoulant de la prise de conscience de cette nouvelle realite, a entraine la redefinition du concept de langue francaise, qui cesse d'etre associee au francais de France pour recouvrir la totalite des usages de cette langue dans les differentes regions francophones. La nouvelle conception du francais pose donc l'existence de plusieurs normes legitimes de francais et induit ainsi la reconnaissance d'une norme autonome du francais du Quebec. C'est dans cette perspective variationniste que P. Martel et H. Cajolet-Laganiere distinguent, par exemple, le francais de reference (FR), les francais nationaux (FN) et les francais regionaux (FReg). Le FR, qui doit etre distingue du francais de France, est celui qui est decrit par les dictionnaires, excepte les mots, les sens, les emplois d'usage restreint et marques. Le FN est la langue parlee et ecrite en France, en Belgique, en Suisse, au Quebec ou en Acadie, pays ou le francais est la langue maternelle. Le FReg represente les usages des regions et il peut donc y avoir des mots regionaux tant en France qu'au Quebec. Bien que les divergences de points de vue perdurent aujourd'hui encore a propos de la norme du francais quebecois, les specialistes qui se sont prononces pour l'existence d'une norme propre au francais quebecois sont largement majoritaires. Aussi, les prises de position pour le “francais quebecois standard” ou “francais standard d'ici” nous semblent le mieux illustrer les orientations actuelles des principaux specialistes de la langue au Quebec. Cette situation fait comprendre que la periode d'insecurite linguistique qui a longtemps et profondement marque la communaute quebecoise est maintenant revolue et que les Quebecois s'engagent avec assurance dans l'edification d'une communaute linguistique autonome. Il n'en demeure pas moins que la realisation d'une description explicite de la norme du francais quebecois standard est loin d'etre achevee.