Cette étude consiste à mettre en lumière la figure du mandala projetée métaphoriquement dans Un homme obscur(1982) par Marguerite Yourcenar, en évoquant son état d’esprit au moment de la rédaction.
Pour cette recherche, nous avons examiné en premier lieu la signification et le caractère du mandala dans son paratexte comme son commentaire, son essai, son agenda ou encore sa correspondance traitant du mandala. Cela nous permet de mieux saisir le sens auquel la figure du mandala renvoie dans Un homme obscur, qui est son dernier roman.
Un homme obscur, dont l’action se situe dans l'Europe du XVIIesiècle, a paradoxalement rapport à la pensée orientale et surtout à l’idée du mandala. Yourcenar aimait beaucoup voyager mais a vécu en recluse dans une île des États-Unis dès 1971, en raison du cancer de Grace Frick, son compagnon de vie. Elle s'est attelée là-bas à la rédaction d’Un homme obscur, de 1978 à 1981. Durant ce temps suspendu, immobile, elle a également étudié et approfondi la pensée orientale, en s'initiant au yoga et à la méditation. Un homme obscur nous apparaît donc comme une sorte de bilan de ses lectures et ses recherches sur la pensée orientale.
Dans son paratexte, la romancière nous éclaire sur sa connaissance du mandala, instrument important pour la pratique tantrique ; elle a pu observer des correspondances entre la théorie du mandala tantrique et certains modes de pensée occidentaux - l’alchimie, la gnose chrétienne, la psychologie, ce «processus d’individuation». Elle a mentionné «le dépassement de la dualité, le Vide, la parfaite plénitude, la totalité, la renaissance spirituelle» comme leurs affinités, en dépit de quelques différences détaillées, saisies dans l'œuvre de Carl Gustav Jung. Ainsi, la pensée philosophique et littéraire de Yourcenar est syncrétique. Mais d’un point de vue plus rigoureux, elle est «éclectique» plutôt que syncrétique, d’autant qu’elle ne se laisse enfermer dans aucune école ni aucun style, tout en n’en refusant aucun.
Ensuite, nous avons éclairé la vision du monde et l’intention narrative de Yourcenar, en analysant la figure et le caractère du mandala dans Un homme obscur. La structure circulaire du roman, le discours entre Nathanaël et Léo Belmonte le savant juif, les images du «cercle», du «centre», de l’«obscurité», de l’«union des contraires», qui apparaissent de façon répétitive dans le roman, impliquent l’idée du mandala.
Le mandala, qui signifie «centre et périphérie» du cercle en sanskrit, représente non seulement un «cosmogramme» mais aussi un «psychosmogramme». Le parcours centrifuge du soi vers l’univers et le parcours centripète vers son propre centre pour Nathanaël ressemblent au schéma du mandala. Surtout, le parcours centripète de Nathanaël est significatif, ainsi que le centre immobile qui symbolise le point de départ et de retour de toute émanation, divinité, sacralité, véritable soi, nature intégrale reposant sur l’antithèse, sur la manifestation du vide universel que l'on retrouve dans la théorie du mandala tantrique et la psychologie jungienne. Par ailleurs, l’obscurité joue un rôle moteur pour amener Nathanaël à son propre centre, comme la théorie du mandala et l’alchimie le soulignent également. Nathanaël, devant la mort par la maladie, réfléchit au microcosme, à l'homme qui se trouve perdu dans l’univers immense et arrive à s’unir au macrocosme. Cela nous semble proche de la sagesse du Vide que Yourcenar, au crépuscule de sa vie, a recherché en se consacrant à l'étude du mandala.