En 1960, avec le debut de la ‘Revolution tranquille’, les intellectuels et les jeunes ecrivains quebecois etaient influences par les theories de la decolonialisation, generees par les anciennes colonies francaises, par exemple les theories d'Albert Memmi, de Frantz Fanon, d'Aime Cesaire et de Jacques Berque. Ils avaient fait deferler dans la litterature quebecoise une nouvelle vague de l'ecrit de la resistance et leurs romans etaient souvent accompagnes d'un discours postcolonialiste. Jacques Godbout, ecrivain important de 'la Revolution tranquille', a aussi publie quelques romans qui contiennent la problematique de la decolonisation au coeur de la thematique du recit. Dans son premier roman, l'Aquarium, publie en 1962, le heros est coince entre deux univers : celui des coloniaux et celui des colonises. Lui, qui est un etre irresolu, hesitant represente a sa maniere les opposants au regime, qui entretiennent une vision critique de celui-ci, mais qui n'osent pas s'engager dans une lutte radicale aux cotes de ceux qui se battent farouchement contre le regime. Ce roman nous rappelle la crise des valeurs vecue par les jeunes gens de la petite bourgeoisie intellectuelle a la fin des annees 1950 et l'eveil du neo-nationalisme au Quebecois au debut des annees 1960. Son deuxieme roman, Le Couteau sur la table, publie en 1965 est presente par l'auteur comme ‘l'histoire d'une rupture’ : le roman n'est plus considere par l'auteur comme relevant de la litterature francaise mais bien d'une nouvelle culture internationale, la francite. A nouveau nous sommes en presence d'un heros-narrateur coince entre deux univers, celui des coloniaux qui, dans le cadre canadien, sont essentiellement les Canadiens anglais, celui des colonises, les Canadiens francais, generalement pauvres, du Quebec. L'opposition entre ces deux univers est incarnee par deux femmes, Patricia et Madeleine, entre lesquelles l'amour de l'heros hesite. A la fin, le heros fait un choix un extreme entre les deux femmes, c'est-a-dire, entre deux communautes, en etranglant Patricia au moment des premiers attentats du F.L.Q. en 1963. Cela nous donne une signification: ce recit est un roman de la problematique nationaliste, montrant un chemin possible pour la liberation du Quebec. Salut Galarneau!, roman publie en 1967 propose des modifications sur le plan de la structure par rapport aux deux premiers romans. Nous ne sommes plus en presence d'un heros-narrateur coince entre deux univers opposes l'obligeant a faire un choix. Mais il y a, bien sur, encore l'univers des colonisateurs comme celui des anglophones riches, des americains, des cures, etc. Galarneau qui appartient a l'univers des colonises n'est plus un jeune bourgeois intellectuel comme les heros precedents mais un rate du cours classique devenu vendeur de hot-dogs qui s'est proletarise. Galarneau qui ne perd pas sa spontaneite, sa joie de vivre, sa verdeur originale trouve son identite et sa liberation par l'ecriture, plus precisement par vecriture. Ce roman presente donc la recherche d'identite et de liberation d'un quebecois qui s'affranchit de sa condition de colonise, qui decide de se dire par l'ecriture. Mais sa prise de conscience individuelle et sa liberation est aussi la prise de conscience collective des quebecois. Nous trouvons finalement que le discours postcolonialiste de Jacques Godbout dans la periode de la 'Revolution tranquille' est enracine a l'ideologie neo-nationaliste. Il se presente comme roman de la problematique de la decolonisation et puis comme roman d' une affirmation du neo-nationalisme quebecois.